Article extrait du FMT Mag n°139 – juin / juillet / août 2021 – Par Jean-Pierre ZANA, cadre de santé kinésithérapeute
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Étudiant, toi qui prépares ou conclus ton mémoire théorique qui te permettra d’exercer demain la
kinésithérapie, tes mains sont-elles préparées à ton exercice quotidien : Le toucher ? Ne sommes nous
pas devenus les champions toutes catégories des enseignements en 2D ?
Le nombre d’heures d’enseignement en masso-kinésithérapie et visioconférence occupe l’essentiel de l’espace de formation. Mais ne sommes-nous pas des praticiens manuels ? Que reste-t-il de nos pratiques à l’heure actuelle ? Boris Dolto nous disait : … « Le médecin palpe, le kinésithérapeute touche »…
Il avait tellement raison et quel bonheur d’avoir un métier où la main et le cerveau travaillent de concert pour l’acte le plus essentiel à « l’Homme » : le soin. Voilà pourquoi, j’ai ressorti de vieux articles et ouvrages de Henri Levame, Paul Le Coeur, repris des travaux réalisés à l’INRS pour vous rappeler et redonner du sens à notre sens majeur : le toucher.
ÉCRIRE EST UN SPORT
N’écris-tu pas plus que tu ne touches, ne masses ou mobilises en ce moment et malheureusement depuis la
pandémie ? Certes, écrire n’est pas seulement une activité intellectuelle, c’est une activité physique à part entière qui mobilise le corps dans son ensemble, y compris jusqu’aux jambes. Bien que l’usage du clavier ne soit ordinairement pas perçu comme une activité physique à risques, un parallèle intéressant peut être établi entre l’écriture et le sport. L’écriture est, comme un sport, constituée de mouvements qui ont entre eux une forte cohérence interne. Écrire aujourd’hui, c’est intégrer un long apprentissage et aussi une longue histoire de tâtonnements pédagogiques. La question qui vient à l’esprit à propos de cet ensemble technique corps + machine + environnement est la suivante : est-ce le mouvement qui crée la machine ? Ou la machine
qui crée le mouvement ?
LA MACHINE CRÉE L’ORGANE
Si l’on veut bien considérer que les mouvements de l’écriture (crayon ou clavier), tout comme la plupart des mouvements sportifs, sont aberrants au regard de notre capacité anatomique naturelle, on comprend
alors que c’est plutôt la machine, ou l’instrument, qui nous a fait inventer les mouvements nécessaires à la mise
en acte de notre imagination créatrice. C’est vrai pour le cyclisme (pédaler : voilà bien un mouvement circulaire
sans contact avec le sol très récent dans l’histoire humaine) ; c’est vrai aussi pour l’écriture, a fortiori pour
l’écriture au clavier.
Revenons à notre toucher, sens extéroceptif clé, essentiel de notre métier… N’est-ce pas lui qui accompagne notre patientèle vers le chemin du soulagement, de la guérison ou de l’acceptation des incapacités liées à la maladie…
La main du kinésithérapeute, qui assure le toucher, ne représente que 5% de la surface du corps ; mais elle est capable de combiner une infinité de mouvements qui la distingue de la machine. « Ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est le plus intelligent des êtres, mais parce qu’il est le plus intelligent des êtres qu’il a des mains ». (Aristote)
Avec nos premiers apprentissages, notre main s’est ouverte sur un monde qui lui est étranger. Elle sait se fermer sur des objets qui ne lui conviennent pas et pour que ses outils s’incorporent à son monde il faut qu’elle veuille qu’elle se force, qu’elle invente et enfin, qu’elle s’habitue à les avoir « en main ». C’est ce que nous avons découvert au fur et mesure
de nos séances de pratiques, de nos premiers massages et mobilisations de nos premiers patients. C’est un apprentissage continu qu’il faut entretenir.
PRENDRE EN MAIN
Nos 10 doigts livrés à l’état de nature primitive peuvent prendre une bouchée de nourriture, façonner une poterie et tresser un panier. Les oiseaux en font autant avec leurs pattes et leurs becs. Casser un caillou est un geste
paléolithique qui dépasse la main, car c’est le caillou qui brise le caillou tenu dans la main intrinsèquement
immobile. Combien de temps faut-il pour « bien » jouer du piano ? A quel âge sait-on bien faire son noeud
de soulier ?
ET POUR ÉCRIRE, MASSER, MOBILISER ?
La main est sensible, d’une sensibilité qui est en elle et qui n’est pas la sienne, mais la mienne ou mieux la
nôtre. De cette sensibilité la main tire des propriétés tout à fait particulières, car la main a le privilège du toucher
c’est-à-dire que la main va rechercher la sensation. La main est un organe des sens à part et spécifique, qui se
taille dans l’univers une catégorie que ne connaît pas l’animal.
Seul de tous les sens le toucher est volontaire. La main qui touche se donne le monde. La main résout le
problème de soi et de l’autre. Car la main qui touche est touchée ou plus exactement est touchée avec ce qu’elle
touche. Voilà un point essentiel de nos enseignements, dans notre relation avec notre patient il est parfois
compliqué de trouver l’équilibre du toucher. Amener le patient à accepter qu’il nous touche autant que nous le
touchons sans que cela génère de l’anxiété, de la gêne ou du plaisir dans le respect de notre éthique. N’oublions
pas que notre main a un effet de bien-être, car elle rappelle la chaleur maternelle. La main peut ramener au
calme quand le cœur s’emballe, elle se donne à l’autre comme un refuge pour accueillir celui qui est hors de soi
et explique bien souvent les frissons, les soupirs de nos patients, leurs soulagements et tous autres réflexes
archaïques. Le toucher est un verbe silencieux qui se fait chair et qui signifie : « Je suis là et je me mets avec toi à la même place ». (J. Brun) Le massage tel qu’il vous a été enseigné est à l’écoute du corps. Ainsi le toucher possède à lui seul cette réduction de probabilité à l’erreur par son contrôle interne qu’il est le seul à posséder. Les fonctions de la main sont celles de l’intelligence elle-même.
« GOGOTHÉRAPEUTES » ET LES INFLUENCEURS DE SANTÉ
La merveilleuse agilité de nos dix doigts est liée à la mobilité de l’épaule et du coude qui permet à la main de
couvrir de grandes zones d’atteinte. De plus la force des muscles du membre supérieur participe à la force
de la main. On pourrait aller beaucoup plus loin pour accompagner dans nos réflexions sur nos pratiques… A l’heure où notre profession a besoin de redorer son blason, de maintenir sa place dans le système de santé alors que, profitant de la pandémie, les « gogothérapeutes » et les influenceurs de santé envahissent le
champ de la santé avec des méthodes, des pratiques qui n’ont rien à voir avec les sciences de la rééducation,
il me semblait indispensable de vous redonner quelques fondamentaux sur notre outil de base, la main et son acte essentiel le toucher. En redonnant toute la force au toucher dans notre pratique vous retrouverez la 3D… N’est-ce pas ce qui manque le plus depuis plus d’un an dans la préparation de votre future vie professionnelle et la vie personnelle ?
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