« Je pensais à tout jamais disparues ces pratiques d’un autre âge… que nenni, les tractions lombaires seraient-elles de retour ? L’étude proposée par notre collègue mérite notre attention, je me souviens de mon patron en rhumatologie, le Professeur M.F. Khan, qui nous demandait fréquemment de les mettre en place au lit du malade. Nos connaissances en mécanique et nos échanges sur nos bases de physiques nous avaient permis d’améliorer la technique, pour assurer un meilleur glissement notamment, nous avions aussi beaucoup explorer le temps nécessaire à ces tractions pour être efficaces. Mais des tables électriques, utilisées uniquement par les médecins de rééducation avaient rangé au placard nos modestes travaux et les filins poids poulies et autres planches de glissement avaient rejoint les sous sols de l’hôpital. Lisez avec attention ce travail, qui mériterait d’être poursuivi et qui redonnera peut-être du sens à des techniques un peu anciennes mais encore efficaces. »

Jean-Pierre ZANA

Résumé

96 patients sédentaires dont 46 de sexe masculin (âge : 42,5 ± 5,6ans ; poids : 76,1 ± 7,9kg) et 50 de sexe féminin (âge : 46,2 ± 4,7ans ; poids : 88,4 ± 8,7kg) atteints de lombosciatalgie d’origine discale ont participé volontairement à cette étude. L’échantillon a été divisé en deux groupes. Chacun des deux groupes comprenait 48 patients dont 23 de sexe masculin et 25 de sexe féminin.

Durant la phase aigüe de la maladie les deux groupes recevaient le même traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens par voie intramusculaire (Diclofenac 75mg/j) durant les six premiers jours, pendant cette période les patients observaient un repos strict au lit.
Après la phase aigüe et à partir du septième jour le traitement par voie intramusculaire est remplacé par un traitement oral par Célebrex (Célécoxib) d’une dose quotidienne de 200mg pendant 10 jours. Durant cette période les patients des deux groupes se sont livrés progressivement à leurs activités quotidiennes.
Après les dix-sept jours de traitement médicamenteux les patients du groupe 2 ont suivi une mécanothérapie par traction lombaire à partir du dix-huitième jour de l’expérimentation pendant 5 séances quotidiennes de 15 minutes chacune tandis que les patients du groupe 1 n’avait reçu aucun traitement de mécanothérapie durant cette période.

Les résultats de cette expérience ont montré une nette centralisation de la douleur et une diminution significative de son intensité chez les patients du groupe expérimental. La centralisation du nucléus polpisus a été décelée à l’examen IRM effectué avant et après l’expérience chez 25 patients du groupe expérimental, alors que le groupe témoin n’a présenté aucune centralisation significative du nucléus polpisus.
Il est évident que la traction lombaire est une thérapie de choix dans le traitement des patients atteints de lombosciatalgie par hernie discale chez les deux sexes car elle permet de réduire l’intensité de la douleur et de la centraliser au niveau lombaire dans plus de 25% des cas. Elle permet aussi de recentraliser le nucléus polpisus de façon significative et dans plus de 50% des cas.

Introduction

La lombalgie est l’une des causes de consultation les plus fréquentes en rhumatologie. Selon une étude publiée par l’OMS en 2003 une personne sur trois a souffert au moins d’une douleur lombaire d’origine mécanique et 20 % de ceux là ont eu affaire à une lombosciatalgie par hernie discale. Le traitement de cette dernière par des médicaments tel que des antalgiques ou des anti-inflammatoires pourrait contribuer à réduire la douleur et l’inflammation dues à l’irritation des racines nerveuses à cause de la migration du nucléus polpisus mais en aucun cas ce traitement ne pourrait être une solution définitive.

En revanche, les solutions données par la mécanothérapie et la physiothérapie sont plus intéressantes en termes de réduction de la douleur et surtout de recentralisation du noyau discal (Troisier O., 2002). McKenzie R. (1979) a démontré que l’hyperextension du rachis lombaire a un effet positif sur la diminution de l’intensité et la centralisation de la douleur et le plus souvent une recentralisation du nucléus polpisus est observée après une posture adaptée à la situation du noyau discal. L’extension du rachis permet de recentraliser un nucléus parti trop en postérieur au moment où une flexion latérale du rachis contribue à réajuster le nucléus déviant au même sens de la latéroflexion (Mc Kenzie R., 1981).

Ces observations cliniques restent en faveur de la traction lombaire qui pour le moins que l’on puisse dire permet grâce à un mécanisme de pression négative dans le disque intervertébral de réajuster un nucléus polpisus trop dévié et ce dans n’importe quelle direction car contrairement aux postures Mc Kenzie, l’action biomécanique de la traction lombaire sur l’unité vertébrale s’effectue dans un sens neutre restaurant ainsi au fur et à mesure la fonction physiologique des unités vertébrales défectueuses (Nwuga G., Nwuga V. ; 1985).

L’utilisation des tractions lombaires n’est pas nouvelle dans le domaine de la médecine. Les grecs et les égyptiens utilisaient déjà toutes sortes de mécanisme de traction rachidienne afin de soulager le mal de dos. Le but de cette recherche est d’étudier l’effet de la traction lombaire sur des patients atteints de lombosciatalgie par hernie discale suivant un traitement médicamenteux par anti-inflammatoires.

 

Méthode

96 patients sédentaires dont 46 de sexe masculin (âge : 42,5 ± 5,6ans ; poids : 76,1 ± 7,9kg) et 50 de sexe féminin (âge : 46,2 ± 4,7ans ; poids : 88,4 ± 8,7kg) atteints de lombosciatalgie d’origine discale ont participé volontairement à cette étude. L’échantillon a été divisé en deux groupes. Chacun des deux groupes comprenait 48 patients dont 23 de sexe masculin et 25 de sexe féminin. Notre échantillon a été choisi selon les critères cliniques et radiologiques suivants :

  • Douleur : la douleur chez les patients de notre échantillon prend naissance au niveau de la charnière lombosacrée irradiant vers la face postérieure du membre inferieur prenant le trajet habituel d’une sciatalgie commençant par la fesse, le genou, jusqu’aux orteils. La palpation révèle des points douloureux au niveau de l’apophyse épineuse de la vertèbre L5 et parfois légèrement au niveau de l’épineuse L4. Un deuxième point douloureux au niveau de l’apophyse transverse L5 a pu être décelé du côté homolatéral du membre inferieur irradié, d’autres points ont pu être mis en évidence par la palpation au niveau de la fesse et du creux poplité. Les attitudes aggravant la douleur sont généralement la position assise prolongée, le changement de position (assis vers debout, allongé vers assis, décubitus dorsal vers décubitus ventral).
  • L’échelle analogue de la douleur : chaque patient a évalué l’intensité de sa douleur selon la méthode de l’échelle analogue de la douleur en donnant une estimation subjective de sa douleur de 0 à 20 dont la valeur 0 correspond à l’absence totale de la douleur et 20 correspond à la douleur la plus intense qu’il puisse ressentir.
  • Signe de Lassègue : le signe de Lassègue a été mis en évidence chez la totalité des patients de notre échantillon.
  • Radiologie : l’imagerie par résonnance magnétique indique une hernie discale le plus souvent latérale (gauche ou droite) à l’étage L5-S1 ainsi qu’une hernie discale moins importante au niveau L4-L5. Ces constatations concordent parfaitement avec les signes cliniques mettant en évidence une lombo-sciatalgie d’origine discale chez 96 patients de notre échantillon.

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Tab. 1 : tableau montrant l’évolution de la topographie de la douleur

Traitement médicamenteux

Durant la phase aigüe de la maladie les deux groupes recevaient le même traitement par anti-inflammatoires non stéroïdiens par voie intramusculaire, le principe actif utilisé a été le Diclofenac sous sa forme injectable à une dose quotidienne de 75mg une demi heure après le déjeuner associé à un pansement gastrique (Ranitidine comprimé 2 × 150mg/jour prise immédiatement après le déjeuner et le diner) en plus d’une dose quotidienne de Tétrazépam (Myolastan) de 25mg en une seule prise le soir avant le coucher et ce durant les six premiers jours, pendant cette période les patients observaient un repos strict au lit.

Après la phase aigüe et à partir du septième jour le traitement par voie intramusculaire est remplacé par un traitement oral par Célebrex (célécoxib) d’une dose quotidienne de 200mg prise immédiatement après le déjeuner en plus d’une dose quotidienne de Tétrazépam (Myolastan) de 25mg en une seule prise le soir avant le coucher pendant 10 jours. Durant cette période les patients des deux groupes se sont livrés progressivement à leurs activités quotidiennes.

Après les dix-sept jours de traitement médicamenteux les patients du groupe 2 ont suivi une mécanothérapie par traction lombaire à partir du dix-huitième jour de l’expérimentation pendant 5 séances quotidiennes de 15 minutes chacune tandis que les patients du groupe 1 n’avait reçu aucun traitement de mécanothérapie durant cette période.

Protocole de traction lombaire

Le protocole de traction lombaire comprenait trois phases : une première phase de préparation et d’échauffement des articulations, une deuxième phase de traction proprement dite et une troisième phase de retour à l’état initial.
Durant la phase de préparation les patients, assis sur une chaise, le dos bien droit, ont exécuté vingt flexions latérales de chaque côté en touchant le sol de part et d’autre de la chaise à l’aide du bout des doigts.

Après cette phase le patient s’allonge sur la table de traction lombaire en décubitus dorsal afin de commencer la traction proprement dite. La traction s’effectue par étapes : un allongement de 1cm pendant 2 minutes suivi d’un allongement de 3cm pendant 4minutes. Après quoi on revient à la traction initiale de 1cm laquelle est maintenue pendant 2 minutes suivie directement par un allongement de 4cm maintenu pendant 5 minutes puis on diminue l’allongement jusqu’à 1cm et maintient la traction durant 2 minutes.

La durée totale de la traction proprement dite était de 15 minutes pour chaque patient. La dernière phase consistait à mettre le patient en décubitus ventral pendant 3 minutes afin de permettre aux éléments périarticulaires des articulations lombaires et lombosacrées de récupérer leur longueur initiale. Le matériel utilisé dans cette expérience a été une table de traction lombaire de marque ainsi qu’une chaise sans accoudoirs. Les cinq séances de traction ont été effectuées quotidiennement le soir. Après quoi les patients des deux groupes témoin et expérimental ont été soumis à un suivi rigoureux régulier pendant les douze mois qui ont suivi l’expérience.

Résultats

Les résultats préliminaires de cette expérience montrent que dès la quatrième séance de traction lombaire c’est à dire dès le vingtième jour de cette étude la douleur a complètement disparu chez 19 patients du groupe expérimental avec un signe de Lassègue négatif chez ces mêmes patients. 27 patients sur les 29 patients restants du groupe expérimental ont vu leur douleur diminuée d’intensité (moins de 5,3 en moyenne qu’à la première séance de traction selon le test de l’échelle analogue de la douleur). La douleur s’est centralisée au niveau lombaire chez 13 patients, au niveau de la fesse chez 11 patients, au niveau du creux poplité chez 3 patients. Alors que 2 patients n’ont observé aucune amélioration de leur état. 8 patients du groupe témoin ont vu leur douleur disparaître, tandis que, 22 patients ont senti une légère diminution de l’intensité de la douleur (de l’ordre de 2,4 de moins qu’au dix septième jour correspondant à la première séance de traction lombaire chez les patients du groupe expérimental). 12 patients du groupe témoin souffraient toujours de douleurs au niveau lombaire et tout au long de la face postérieure du membre inférieur mais moins importantes en intensité que pendant la phase aigüe alors que les 6 patients restants ont eu une aggravation de leur douleur et ont nécessité un traitement médical par anti-inflammatoires non stéroïdiens et un repos au lit de 8 jours.

Les IRM ont été refaites après 30 jours du début de l’expérience chez les patients des deux groupes et n’ont montré aucune amélioration chez le groupe témoin. En revanche, les IRM de 25 patients du groupe expérimental ont montré une nette centralisation du nucléus polpisus dont 19 ont vu leur douleur complètement disparaître et 6 autres ont vu leur douleur se centraliser au niveau lombaire.

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Fig. 1 : graphique représentant l’évolution de la topographie de la douleur chez les patients des deux groupes; Fig. 2 : graphique présentant les résultats de l’IRM

Discussion

Depuis les recherches de McKenzie R. (1979,1981) sur l’effet des positions extrêmes sur la centralisation du nucléus polpisus, on sait au moins que les moyens mécaniques tels que les postures prolongées et même les tractions vertébrales ont un effet décisif sur la position du disque intervertébral. Les études concernant les tractions lombaires sont très rares. C’est la raison pour laquelle nous avons entrepris cette étude car sur le plan clinique nous avons constaté une influence notoire de la traction lombaire sur table sur la symptomatologie des lombalgies et surtout des lombosciatalgies et lomboradiculalgies due à la migration du nucléus polpisus. Les résultats de cette recherche concordent avec les observations pratiques que nous avons eu à constater durant notre carrière. La traction lombaire améliore significativement l’état clinique et mécanique des patients atteints de lombosciatalgie par hernie discale. Ceci est dû à l’effet de la traction sur le dégagement des racines nerveuses et par là même la diminution du conflit discoradiculaire. Lors d’une hernie discale, le nucléus polpisus, partie centrale du disque, a tendance à migrer vers la direction où la pression intradiscale est la moindre cette migration induit une saillie de la gélatine discale (substance entourant la partie centrale du disque) qui rentre aussitôt en conflit avec la racine nerveuse qui avoisine l’espace intervertébral ce qui crée la symptomatologie observée lors des lombosciatalgie d’origine discale (Kapandji A.I., 2007). Par ailleurs, la traction lombaire soulage cette compression discale de la racine nerveuse en augmentant l’espace intervertébral et en ayant même un effet sur le nucléus polpisus qui regagne sa place au centre du disque après plusieurs tractions. Le résultat obtenu dans cette étude confirme cet état de fait : 25 patients sur 48 du groupe expérimental ont eu une recentralisation significative des disques intervertébraux là où aucun patient du groupe témoin n’a montré une recentralisation discale significative. La centralisation de la douleur est aussi un signe d’amélioration de l’état du conflit discoradiculaire car c’est en se centralisant que la douleur diminue d’intensité et que le nerf sciatique commence à récupérer et ce malgré la persistance du dérangement discoradiculaire (McKenzie R., 1981). Les 13 patients du groupe expérimental chez qui la douleur s’est centralisée au niveau lombaire ne présentaient plus de gène fonctionnelle proprement dite car ils pouvaient se pencher en avant, changer de position… etc. sans pour autant avoir une douleur paralysante comme ça était le cas avant la traction. Aucune centralisation de la douleur n’a été observée chez les patients du groupe témoin ce qui témoigne de la souffrance discoradiculaire toujours persistante. La traction lombaire était contre indiquée par Troisier O. (2002) chez les patients qui présentaient une calcification discovertébrale comme c’est le cas pour les spondylarthrites ankylosantes. Elle ne donne pas de résultats probants dans les cas où le nucléus polpisus a migré trop loin du centre discal et où le traitement reste fondamentalement chirurgical. C’est le cas des deux patients du groupe expérimental qui n’ont observé aucune amélioration de leur cas.

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Fig. 3 : graphique présentant l’intensité de la douleur avant et après l’expérience

Conclusion

Il est évident que la traction lombaire est une thérapie de choix dans le traitement des patients atteints de lombosciatalgie par hernie discale chez les deux sexes car elle permet de réduire l’intensité de la douleur et de la centraliser au niveau lombaire dans plus de 25% des cas. Elle permet aussi de recentraliser le nucléus polpisus de façon significative et dans plus de 50% des cas. Ces constatations sont des éléments de taille en faveur de la traction lombaire. En revanche, cette dernière est à éviter durant la phase aigüe et lorsqu’il s’agit d’hernies discales calcifiantes. Ceci dit, il est indispensable d’effectuer au préalable un examen radiologique adéquat afin de déceler d’éventuels signes de calcification avant d’entamer une quelconque thérapie manipulative ou mécanique.

GASMI Amin
Conseiller du sport/ enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure en Sciences et
Technologie du Sport, Alger
Kinésithérapeute à la Fédértion Algérienne de Taewondo

GASMI BENNOUR Halima
Omnipraticienne en pratique libérale

 

Bibliographie

  • TROISIER O., DORARD A., REDONT M.J., Education vertébrale Verrouillage, déverrouillage : pédagogie et technique, Masson, Paris, 2002.
  • MCKENZIE R., Prophylaxis in recurrent low back pain, N Zealand Med J, 1979.
  • MCKENZIE R., The lumbar spine: mechanical diagnosis and therapy, New Zealand: Spinal Publications. 1981.
  • NWUGA G., NWUGA V., Relative therapeutic efficacy of the Williams and McKenzie protocols in back pain management, Physiotherapy Practice, 1985.
  • KAPANDJI A.I., Physiologie articulaire : Tome1, Maloine, Paris, 2007.