En appui unipodal, le moyen fessier intervient dans le contrôle tridimensionnel du bassin et, indirectement, sur celui du genou et du pied. Il peut être aussi bien victime que responsable de pathologies. Son déficit, souvent méconnu, est notamment mis en cause dans les pathologies de surmenage du membre inférieur et les syndromes fémoro-patellaires.

Situation anatomique à risque et rôle stratégique

Le large éventail du moyen fessier s’insère par ses fibres charnues dans la partie haute de la face externe de l’os coxal, pour se terminer par un tendon sur la face latérale du grand trochanter. Une bourse séreuse s’interpose entre tendon et os. Michel Pillu définit le moyen fessier comme « d’abord et avant tout un anti-adducteur de hanche en chaîne fermée ». En effet, en charge, lors de la marche et, a fortiori de la course et du saut, sous l’effet du poids du corps et de l’accélération verticale dirigée du haut vers le bas, le bassin chuterait en latéroversion controlatérale s’il n’était retenu par la contraction du moyen fessier. Plus la longueur du pas et la vitesse de marche augmentent, plus ce muscle est sollicité.

Dans la déambulation, le moyen fessier sert non seulement à contrôler le bassin, mais également à absorber les contraintes. Le choc talonnier à l’attaque du pas est de 120% du poids du corps dans la marche et atteint 220% pendant la course. D’où l’importance de la qualité du sol et des chaussures pour le ménager. « La course, même à petites foulées, est source de surmenage du moyen fessier », souligne Michel Pillu. En raison de sa large insertion proximale, les fibres extrêmes du muscle débordent le plan frontal. En position de référence, ses fibres postérieures font donc de l’extension et de la rotation latérale, ses fibres antérieures de la flexion et rotation médiale. En appui unipodal, le moyen fessier est donc en mesure d’assurer la stabilisation tridimensionnelle du bassin. En revanche, en position assise, il perd son action d’abduction et devient entièrement rotateur médial.

Mais son action ne se limite pas au contrôle de la hanche et du bassin. Le fascia glutéal, qui part de la crête iliaque et se poursuit par le tractus ilio-tibial jusqu’au tubercule infracondylaire (tubercule de Gerdy), le recouvre. En se contractant, le muscle augmente de volume et met ainsi en tension ce système aponévrotique inextensible, comme le fait le vaste latéral en dessous, il a donc un effet indirect sur le genou.

 

moyen-fessier

 

Le nerf glutéal supérieur, qui innerve le moyen fessier par deux rameaux distincts, donne la possibilité d’une contraction différentielle entre fibres antérieures et postérieures. Le paquet vasculo-nerveux destiné au moyen fessier sort du bassin par le foramen supra-piriformien, dans la grande incisure sciatique, où « on ne trouve pas 1mm3 libre », souligne Michel Pillu. Cet encombrement explique que la moindre pathologie du piriforme retentisse immédiatement sur le moyen fessier via la compression de ses nerfs et de ses vaisseaux.

L’anatomie régionale ainsi que la biomécanique de la marche et de la course exposent à de nombreux maux dont le moyen fessier est victime ou responsable, selon les cas. Bursite, compression vasculo-nerveuse par le piriforme, douleurs du grand trochanter, du petit fessier et du tenseur du fascia lata avec lesquels il échange des fibres, de la face latérale du genou par tension du tractus ilio-tibial, de l’articulation de la hanche puisque les contraintes en compression sur la hanche augmentent de façon linéaire avec l’intensité de sa contraction.

Jean-Louis Estrade souligne pour sa part que, dans le plan frontal, le poids du corps exerce sur la diaphyse fémorale des contraintes en flexion, dans le sens d’un varus. Cela engendre un effet de compression sur la corticale interne et un effet de distraction sur la corticale externe. Or, l’os réagit bien à la compression, pas à la distraction, commente-t-il. La présence du hauban ilio-tibial, à la face latérale du membre inférieur, rétablit l’équilibre en exerçant des contraintes inverses, de distraction en interne, de compression en externe. Sa mise en tension active est donc indispensable à la protection du fémur.

Dans la course, l’insuffisance des stabilisateurs latéraux de hanche entraîne la hanche en adduction-rotation médiale, le genou en valgus-rotation latérale et le pied en valgus.

Douleurs du grand trochanter et tendinopathies

 

« Les douleurs latérales de la hanche représentent souvent un défi diagnostique et thérapeutique », constate Bertrand Tamalet. La pathogénie du syndrome douloureux du grand trochanter, ou SDGT, est incertaine et probablement multifactorielle. Les médecins croyaient avoir élucidé leur cause, la bursite trochantérienne, grâce à l’échographie. Mais les progrès de l’IRM des tissus mous relativisent son incidence en affinant les images de tendinopathie et en révélant des ruptures partielles du tendon, ignorées jusque-là. Les pathologies articulaires de la hanche, mais aussi les douleurs référées issues du rachis lombal sont elles aussi susceptibles de participer à ce syndrome.

La chirurgie pour fracture de l’extrémité supérieure du fémur ou pour arthroplastie réserve parfois des surprises. Dans 20 à 22% des cas on découvre une désinsertion ou une rupture dégénérative des tendons du moyen fessier ou du petit fessier. Cette pathologie pourrait expliquer la boiterie persistante de certains patients après chirurgie de la hanche. Par ailleurs, la fréquence moyenne du SDGT chez les lombalgiques chroniques est de 20%, supérieure à celle de la population générale. Une étude menée sur 3026 personnes se plaignant de douleurs de hanche uni ou bilatérales, sans signes de coxarthrose ni de fibromyalgie, montre que le SDGT touche 4 femmes pour 1 homme, à un âge moyen compris entre 55 et 64 ans. Elle souligne que l’indice de masse corporelle et le niveau d’activité physique n’y sont pas du tout corrélés, non plus que la différence de longueur des membres inférieurs.

Examen clinique des tendinopathies du moyen fessier

D’installation progressive, les douleurs descendent le long de la cuisse, parfois de la jambe, évoquant une radiculalgie L5, hypothèse éventuellement renforcée par des paresthésies. La douleur augmente à la marche, à la montée des escaliers et au lever depuis la station assise. La boiterie de Trendelenbourg (chute du bassin) est généralement présente, spontanément ou après appui unipodal de 30s. La mobilité passive de la hanche est normale, à moins d’une coxarthrose concomitante. La douleur à l’abduction résistée est très inconstante. En revanche, celle provoquée par la « dérotation externe » semble beaucoup plus fiable (voir encadré).

Le test de dérotation externe

Décrit par Lequesne et coll., ce test participe au diagnostic de tendinopathie du moyen fessier. Positif lorsqu’il déclenche la douleur, il se pratique en décubitus, hanche et genou fléchis à 90°, la cuisse étant maintenue dans le plan sagittal par l’opérateur. La hanche est placée passivement en rotation latérale, le patient la ramène activement par un mouvement de rotation médiale, avec pour consigne de positionner le segment jambier dans l’axe de la table. Le cas échéant, une résistance à la face latérale du pied majore la réaction douloureuse. En l’absence de douleur, la dérotation externe est recherchée en procubitus.

Outils d’évaluation rapide

Parmi les outils d’évaluation de la force musculaire, les plus rapides sont les capteurs de pression. Le capteur de pression est employé comme un break test, il s’interpose entre la cuisse du sujet et la ou les mains de l’examinateur. Fiables, ces capteurs présentent deux inconvénients : leur coût élevé et leur étalonnage en newtons. Beaucoup plus accessible, le capteur de pression « maison », tensiomètre modifié, s’utilise de la même manière, mais donne les valeurs en mm Hg… L’examinateur apprécie aisément les progrès d’un bilan à l’autre, mais la transcription en kgs reste à faire ! Le dynamomètre classique, peu onéreux, intégré à un montage de poulie-thérapie, mesure, comme les précédents, la force isométrique.

La douleur à la palpation est généralement présente mais sans valeur discriminative. Patrick Djian, chirurgien, recherche également la douleur à l’étirement, hanche fléchie en rotation latérale. L’examen du rachis lombal recherche une douleur paravertébrale homolatérale qui, associée à un palper-rouler douloureux en regard du grand trochanter, évoque un syndrome cellulo-téno-myalgique de Maigne, sans permettre d’exclure une association lésionnelle. La rupture tendineuse, rarement brutale, se manifeste par un tableau pseudoparalytique : difficulté à maintenir l’appui unipodal, tenu grâce à une inclinaison du tronc, douleur à l’abduction contre pesanteur qui la rend difficile ou impossible, comme la « dérotation externe ». Un testing des muscles innervés par L5 est indispensable. Généralement d’origine dégénérative, la rupture est souvent partielle. Actuellement, l’examen de référence dans le SDGT est l’IRM.

Options thérapeutiques

Après avoir éliminé ou traité une pathologie rachidienne, une fibromyalgie, un ressaut du fascia lata (sujet jeune se plaignant d’un ressaut lors de la pratique sportive), reste à traiter la tendinopathie. Le repos, relatif, peut aller jusqu’au port de cannes anglaises en cas de douleur intense. Anti-inflammatoires non stéroïdiens per os et antalgiques sont de classiques prescriptions. Les gels, pommades et la mésothérapie, largement utilisés, n’ont pas été évalués, non plus que la kinésithérapie. L’infiltration radio-guidée ou écho-guidée de corticoïdes dans la bourse trochantérienne apporte, selon les différents auteurs, de 65 à 90% d’amélioration persistante à 6 mois.

 

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La chirurgie devient envisageable après échec du traitement conservateur et en présence d’un handicap marqué. L’échographie et l’IRM doivent confirmer la bursite et si possible la rupture, il faut également que l’infiltration de corticoïdes ait eu un effet de rémission, démontrant ainsi l’implication de la bourse séreuse, et que les muscles aient conservé une bonne trophicité. Car, comme à l’épaule, dans 15% des cas ils deviennent le siège d’une dégénerescence graisseuse dont témoigne l’IRM. Patrick Djian distingue trois chefs dans le moyen fessier, antérieur, moyen et postérieur. Il observe que les tendons les plus souvent touchés sont ceux des chefs antérieur et moyen, associés à celui du petit fessier. Le chirurgien, après ouverture du fascia lata, pratique une bursectomie et réinsère les tendons dans une tranchée osseuse par du fil non résorbable. Le patient déambule en appui soulagé par des cannes et pas simulé pendant 8 semaines. Les plus âgés se déplacent en fauteuil roulant.

Avec un recul entre 6 et 18 mois, les premiers résultats de cette chirurgie sont prometteurs. Mais Patrick Djian précise que la chirurgie ne concerne que les tendinopathies chroniques et récidivantes, soit 5 à 10% des cas, et que seuls 2/3 d’entre elles pourront être opérées.

Pour renforcer le moyen fessier et améliorer le contrôle de l’ensemble du membre inférieur, les meilleurs résultats sont obtenus par des exercices en charge.

 

Déficits méconnus chez le coureur à pied

En appui unipodal, notamment dans la course à pied, une fatigue ou une insuffisance des stabilisateurs latéraux provoquent un effondrement du membre inférieur sous le poids du corps. La hanche se met en adduction et rotation médiale, le genou en valgus et rotation latérale, ce qui entraîne une subluxation latérale de la patella ; le tibia subit une torsion latérale, le pied se place en pronation et l’arrière-pied en valgus. L’efficacité des muscles latéraux de la hanche est donc nécessaire à la protection du genou et du pied.

La littérature récente étudiée par Jean-Louis Estrade sur l’activité des muscles de la hanche, les conséquences de leur déficit et de leur renforcement, dans différents contextes et différentes pathologies, est riche d’enseignements et confirme l’analyse précédente.

Chez les coureurs amateurs qui présentent des blessures de surmenage (tendinopathie d’Achille, syndrome de l’essuie-glace au niveau du tractus ilio-tibial, douleur antérieure du genou, fractures de fatigue, aponévrosite plantaire), on observe un déficit des stabilisateurs latéraux de hanche du côté atteint, ainsi qu’un déséquilibre de force en faveur des adducteurs du même côté. Cette dysharmonie ne se retrouve pas chez les coureurs sains.

Chez les coureurs souffrant d’un syndrome fémoro-patellaire, on constate une relation entre la perte de force des abducteurs de hanche et l’augmentation de l’amplitude d’adduction pendant la course. Cette relation est plus marquée après la course qu’avant et n’apparaît pas chez les coureurs indemnes.

Chez les femmes, la force des abducteurs est proportionnellement moindre et le valgus de genou plus marqué à la réception unipodale que chez les hommes, ce qui les expose davantage aux blessures du genou.

Le moyen fessier et les pelvitrochantériens sont mis en cause dans la survenue de ces traumatismes, lorsque leur aptitude à contrôler le membre inférieur dans les plans frontal et transverse est déficiente. Kelli R. Snyder, citée par Jean-Louis Estrade, constate d’ailleurs que 6 semaines de renforcement musculaire diminuent la rotation médiale de hanche, le valgus du genou et la pronation à l’attaque du sol. Une étude de TH. Nakagawa va dans le même sens : dans le traitement kinésithérapique des syndromes fémoro-patellaires, l’adjonction d’un renforcement des abducteurs et des rotateurs latéraux de hanche a un effet bénéfique sur la douleur, par rapport à un groupe contrôle. L’explication se trouve probablement dans un meilleur contrôle moteur de la hanche, à la descente des escaliers par exemple.
Chez les coxarthrosiques, on observe une diminution de force des abducteurs de plus de 25%, ainsi qu’une nette amyotrophie (à l’IRM).

Chez les individus de plus de 65 ans en appui unipodal, la réactivité des abducteurs de hanche, c’est-à-dire le temps nécessaire pour passer de 10% à 60 ou 90% de leur force maximale, est corrélée à l’efficacité du contrôle de la stabilité dans le plan frontal. Les femmes âgées de 62 à 94 ans (moyenne à 74 ans), comparées à des femmes âgées de 21 à 27 ans, montrent une perte de force des abducteurs de hanche de 34% et des adducteurs de 24% en isométrique. En isocinétique à 60°/s, la perte s’élève à 40% pour les deux groupes musculaires.

Recrutement optimal en charge

Quels sont les exercices qui engendrent la plus grande activité électrique dans le moyen fessier et sont donc les plus aptes à le renforcer ?

Lori A. Bolgla, que cite Jean-Louis Estrade, les classe, chez le sujet sain, dans l’ordre suivant :
appui unipodal, côté à rééduquer en charge, élever et abaisser l’hémibassin controlatéral ;
appui unipodal hanche et genou fléchis à 20° (position habituelle dans de nombreux sports), faire une abduction de hanche controlatérale avec une charge à la cheville (3% du poids du corps en l’occurrence) ;
latérocubitus controlatéral au côté à faire travailler, abduction de hanche avec le même poids à la cheville, ou, ex aequo, appui unipodal du côté à renforcer, la hanche en rectitude, abduction controlatérale avec la même charge.

Norman W. Ayotte étudie une autre gamme d’exercices, toujours chez le sujet sain. Celui qui fournit le tracé électrique le plus riche est le « assis sans chaise » unipodal, la hanche étant fléchie d’environ 45°. Cet exercice a d’ailleurs le même effet sur le grand fessier et le vaste médial. Monter une marche demande moins d’activité, que ce soit de face, de côté, ou à reculons.

Ces exercices ciblent explicitement le moyen fesser et globalement les stabilisateurs latéraux de hanche. D’autres stratégies, globales, donnent aussi des résultats positifs. C’est le cas des exercices en charge utilisés par Elaine Trudelle-Jackson comme se relever d’une chaise, monter sur la pointe du pied, marcher sur place en levant haut les genoux et autres exercices en appui unipodal. Dans un programme de 8 semaines comprenant de nombreuses répétitions, chez des patients porteurs de PTH, à 4 mois minimum de l’intervention, ils ont très nettement amélioré la force musculaire, la stabilité posturale et la récupération de la fonction, par rapport à un groupe de patients travaillant en décharge.

Autre moyen, toujours après arthroplastie de hanche : combiner kinésithérapie classique et séances de 30 minutes de marche sur tapis roulant pendant 10 jours. Les effets sont remarquables. Par rapport au groupe contrôle, l’abandon des cannes est plus précoce, la récupération du déficit d’extension de hanche, de la symétrie de la marche, de la force des abducteurs, est nettement supérieure, avec une persistance de ces bénéfices à un an. L’entraînement sur tapis roulant était aidé par un harnais qui soulageait de 15% du poids du corps, pourcentage équivalent à celui supporté par les cannes.

D’après les communications de MM. M. Pillu, B. Tamalet, P. Djian, J.L. Estrade à la XVIIIe Journée de médecine et de rééducation de l’Est parisien, le 21 mars 2009.